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Mon but etant de les faire connaitre uniquement pour la gloire de leurs Auteurs

Métaphores et pratiques sexuelles
dans la cabale


    Le livre du Cantique des cantiques Marc Chagall




Métaphores et pratiques sexuelles dans la cabale



Moshé Idel



La présente étude traitera de deux usages principaux de l'imagerie et de la pratique sexuelles ainsi que des métaphores du même ordre développées dans la littérature de la cabale . L'on peut subdiviser, par commodité, les divers types de motifs relatifs à la sexualité en deux grandes parties, en fonction de leurs références au plan théologique ou théosophique.
a) Quand la relation symbolisée par l'imagerie ou la pratique sexuelle se situe entre l'homme et Dieu, je me référerai à elle en tant que “symbolisme vertical”.
b) Quand la relation en jeu dans l'imagerie ou la pratique sexuelle vise un processus se déroulant entre des entités de même niveau, je m'y référerai en tant que “symbolisme horizontal”. Le “symbolisme vertical” est attesté dans les deux écoles principales de la cabale: la cabale dite théosophique, dont le chef d'oeuvre est le Zohar, et dans la cabale extatique, représentée par les écrits de R. Abraham Aboulafia et de ses successeurs. Le “symbolisme horizontal” apparaît presque exclusivement dans la cabale théosophique. Grosso modo, les deux principaux types de symboles surgissent déjà dans les textes rabbiniques classiques: Talmud et Midrach. Cependant, les cabalistes du Moyen Age, qui adoptèrent les motifs sexuels préexistants, élaborèrent les détails des conceptions rabbiniques touchant aux thématiques sexuelles, et parfois intégrèrent des idées philosophiques qui contribuèrent surtout aux formulations propres à la cabale extatique.
Commençons par le symbolisme vertical. Ce type de symbolisme inclut deux différents genres de symboles:

I ) La cabale théosophique se réfère à la manifestation divine comme à une partenaire féminine, tandis que les cabalistes (ou des figures idéales de l'antiquité lointaine, héros bibliques ou rabbiniques) sont considérés comme jouant le rôle masculin dans leur relation au divin.
2) La cabale extatique, à l'opposé, représente le mystique ou ses facultés spirituelles comme féminin, alors que les puissances supérieures, en l'occurrence l'Intellect Actif, ou Dieu lui même, sont regardées comme un partenaire masculin. Je parlerai de l'usage théosophique du symbolisme vertical aussi bien qu'horizontal, comme d'un “symbolisme descendant”.

Cette expression, proposée et définie par Erich Kahler , indique un cas où “la représentation symbolique se détache d'elle même, descend jusqu'à nous, depuis une réalité antérieure et plus haute, une réalité déterminante, et donc supérieure à sa signification symbolique. Ce qui revient à dire que des oeuvres réellement mythiques et culturelles ne se proposent pas comme représentation symbolique, elles sont censées décrire des faits réels”.
En ce qui nous concerne, la “plus haute réalité” est le processus qui se déroule dans le monde intradivin, le domaine des sefirot, qui servent d'archétypes pour les processus à la fois verticaux et horizontaux. A l'opposé, le symbolisme vertical de la cabale extatique sera considéré comme un “symbolisme ascendant” (3), cette formule exprimant l'élévation d'un acte sexuel corporel au statut de métaphore pour la relation entre âme humaine et entités supérieures.
Je vais d'abord examiner l'histoire du symbolisme vertical et ascendant.

A - Le symbolisme vertical ascendant
C'est un lieu commun de dire que les littératures mystiques tendent à exprimer la relation entre l'âme du mystique et le divin au moyen d'une imagerie érotique (4). Tous les corpus classiques d'écrits mystiques peuvent aisément en produire maints exemples, parfois frappants, où des images sexuelles sont ouvertement et fréquemment employées. La cabale n'a rien d'unique à cet égard: elle use aussi, très amplement d'images sexuelles et de métaphores. Cependant, il y a quelque chose d'original dans cet ensemble d'écrits, qui transcende l'usage plus commun de motifs sexuels et érotiques: 1a différence ne repose pas tant dans les textes que dans leur contextes sociologiques.
Contrairement à leurs homologues chrétiens, les mystiques juifs qui adoptèrent l'imagerie sexuelle afin de décrire leur expérience du divin, partageaient avec d'autres Juifs la conviction que le mariage réel et l'accomplissement du commandement de la procréation constituent un impératif religieux. Les cabalistes, en conséquence, peuvent difficilement être considérés comme des personnes pour lesquelles l'emploi de métaphores sexuelles est une compensation de leur frustration en matière d'expériences érotiques “réelles” . Abraham Aboulafia, Isaac d'Acco, ou tout autre cabaliste qui sera mentionné plus bas, étaient vraisemblablement mariés ou, du moins, regardaient les relations sexuelles comme légitimes d'un point de vue religieux. I1 en résulte que la récurrence même de ce type d'imagerie dans des sources juives montre à l'évidence que l'explication assez commune donnée par quelques universitaires, quant à la genèse de l'imagerie sexuelle dans une libido réprimée, ne peut pas être davantage qu'une solution partielle.


Un bref examen du symbolisme vertical ascendant montre qu'il appert dans deux grands types de textes:


a) La littérature juive ancienne: la Bible et les textes talmudiques et midrachiques décrivent la relation entre Dieu et le peuple juif - désigné parfois comme Communauté d'Israël - comme une relation respective entre mari et femme. C'est aussi la principale démarche suivie par la littérature exégétique du Cantique des Cantiques, dans les textes médiévaux, qui considère sa signification simple comme relative au peuple d'Israël et à Dieu. I1 s'agit à l'évidence d'une partie du mythe national qui métamorphose la nation tout entière en une entité entretenant une relation sexuelle avec l'autre entité - la divinité. Cette relation mythique a peu à voir avec une mystique. Elle est concernée primordialement par la nation en tant qu'unité, tandis que le Juif singulier est plutôt négligé comme facteur significatif. L'individu, selon ces écrits juifs classiques, peut prendre part à ce lien avec Dieu par sa participation à une grande unité signifiante: Knesset Israel. Son activité doit donc être destinée à faire de lui une partie de ce plus grand corps.
L'imagerie érotique et sexuelle se fait jour, à mon avis, seulement sur ce point: la relation de la mythique Knesset Israel avec Dieu. Ce lien joue comme médiation entre l'individu juif et la Divinité, quand bien même cette relation est exprimée en termes sexuels.


b) C'est seulement plus tard, à l'époque médiévale, qu'à côté de ce lien mythique, exprimé dans une terminologie maritale, une relation mystique entre l'individu et Dieu fait son apparition. L'âme humaine, ou parfois l'intellect humain, ont été conçus comme féminin dans leurs relations à l'entité masculine supérieure, que ce soit l'Intellect Actif - regardé comme une puissance cosmique - ou Dieu lui même (6). Tel est le modèle adopté depuis la fin du XIIe siècle par des philosophes juifs, et qui à partir de là, s'est infiltré dans la cabale extatique. Je limiterai les remarques suivantes à quelques exemples, le matériau étant beaucoup trop abondant pour que je puisse le commenter ici.
J'ai choisi des illustrations qui nous permettront de sentir la neutralisation de l'aspect mythique de Knesset Israel - telle qu'elle apparâît dans les textes rabbiniques classiques, ou dans la cabale théosophique - et sa transformation en une allégorie de la capacité spirituelle de l'homme.
Dans son Gan Naoul, Abraham Aboulafia écrit :
“Le Cantique des Cantiques n'est rien autre qu'une parabole pour Knesset Israel et Dieu, qui est pour elle comme un parfait fiancé alors qu'elle est pour lui comme une jeune épousée parfaite, lui au plan divin, elle au plan humain (...) l'amour humain ne s'associe pas à [l'amour] divin avant de longues études de Torah et avant une pleine accession à la sagesse, ni avant la réception de la prophétie.”
Il ressort donc que l'accession à la prophétie, ou en d'autres mots la réalisation d'une expérience extatique, est l'équivalent de l'union d'un fiancé et de sa promise. La nature du fiancé est claire: c'est Dieu; la fiancée - Knesset Israel - est cependant humaine. Sur la base de ce seul passage, il paraît évident que Knesset Israel est conçue comme une entité individuelle: après tout, la réception de la prophétie est ordinairement une expérience individuelle.
Néanmoins, Aboulafia nous fait comprendre, dans une autre de ses oeuvres, ce qui suit : “Le secret de Knesset Israel est... Knesset I Sar EI, parce que l'homme parfait comporte toutes choses ensemble et il est appelé "la communauté de Jacob".” La métamorphose de la nation parfaite, partenaire de Dieu, en une âme individuelle, est claire. Le sage se tient à la place de toute la “communauté de Jacob” dans la mesure où il inclut la Knesset dans sa pensée, l'Intellect Actif, qui est représenté par le mot “Israël”.
L'expérience extatique est décrite par Aboulafia, qui utilise encore de fortes images érotiques, comme une unio mystica :
“Telle est la force de l'homme: il peut attacher la partie inférieure à la supérieure et la [partie] inférieure s'élèvera et s'unira à la [partie] supérieure, tandis que la [partie] d'en haut descendra et embrassera l'entité qui monte à sa rencontre, comme un fiancé embrasse réellement sa fiancée, à cause de son grand et vrai désir, propre au plaisir des deux, issu de la puissance de Dieu (ou du Nom).”
Selon Aboulafia, le but final de l'extase est le “plaisir du fiancé et de la fiancée”, expression souvent répétée dans ses écrits ). Cette union de l'humain et du divin représente un changement clair, non seulement du mythique à la mystique, du national à l'individuel, mais aussi de la terminologie traditionnelle au langage philosophique. D'après un traité anonyme de l'école d'Aboulafia : “La faculté rationnelle, c'est à dire l'âme rationnelle qui reçoit l'influx divin, est appelée Knesset Israel, dont le secret est l'Intellect Actif.” “Israël” ou “Knesset Israël représente donc l'intellect humain qui est relié, d'une façon secrète, à l'Intellect suprême. La nature de ce secret semble être la guematria suivante: Israël a même valeur numérique que sekhel ha poél (intellect actif) . J'inclinerais à résumer le changement entre la vision classique et la vision spéculative de Knesset Israel comme épouse de Dieu, de la manière suivante: c'est seulement lorsqu'il a été interprété comme se référant à l'individu, que ce terme a été relié à l'union mystique entre monos pro monos. Seulement alors le cabaliste pouvait se voir comme une “femelle” à l'intérieur de laquelle l'étincelle divine est semée et le fils spirituel né, autrement dit, une transmutation de l'esprit humain a lieu comme résultat d'un contact avec le divin. Il importe de remarquer que le symbolisme épithalamique  utilisé par Aboulafia est parfois transcendé par l'apparition d'un symbolisme unitaire; un exemple: le passage précité de Or ha Sekhel survient immédiatement après le passage suivant  :
“Le Nom (de Dieu) est composé de deux parties puisqu'il y a deux parties d'amour (divisé entre) deux amants, et les (parties de) l'amour deviennent une seule (chose) quand l'amour devient actuel. L'amour divin intellectuel et l'amour humain intellectuel se conjoignent, devenant un.”
Avant d'abandonner ce genre de métaphores, il est important de souligner le fait qu'une expérience réelle d'un contact sexuel n'est pas essentielle pour l'adepte de la cabale extatique. Il peut l'avoir vécu ou non dans le passé ou s'y adonner encore ou non dans le présent, l'acte même de l'union sexuelle ne joue aucun rôle rituel dans l'expérience mystique. Par nature, la cabale extatique est surtout soucieuse des processus spirituels, pour lesquels les actions corporelles pourraient être seulement une entrave.

B - Le symbolisme vertical descendant
“Si homme et femme sont méritants la présence divine (la Chekhina) demeure entre eux, sinon - un feu les consumera.” Quelle est la signification de ce dictum ? Un simple avertissement visant à consolider les lois de pureté ? Peut  être. Nonobstant cette possibilité, j'aimerais proposer une interprétation plus élaborée, concernant l'acte d'union entre homme et femme, lorsqu'il est accompli en conformité avec le rituel juif, en tant qu'il est chargé d'une signification théurgique. Ou, pour le dire autrement, l'union sexuelle parfaite  influence réellement la présence divine, la déterminant à résider avec le couple méritant. Cependant, quand l'union est accomplie par des personnes impures, le résultat est fatal: un feu les dévorera.


Le couple d'opposés: la présence favorable de la Divinité face au feu dévorant, nous rappelle une possibilité inhérente à une autre situation: l'entrée dans le sein le plus profond du sanctuaire juif. Moïse était capable d'entendre la parole divine à partir des chérubins dans le Tabernacle, tandis que Nadav et Avihou furent consumés par le feu lorsqu'ils pénétrèrent dans le sanctuaire . Ce parallélisme n'est il qu'une pure coïncidence ? N'y a t il aucune affinité significative entre l'union sexuelle pure et le sanctuaire ? I1 me semble que la réponse est positive. La présence divine était censée résider entre les deux chérubins . Cette vision biblique a été développée dans le Talmud: les chérubins se tournent l'un vers l'autre quand Israël accomplit les commandements, ou, comme le dit le Talmud, la volonté de Dieu; mais, lorsqu'ils fautent, les chérubins détournent leur face l'un de l'autre  Donc, grâce à l'accomplissement de la volonté divine, les chérubins changent de position, ce qui est apparemment décrit dans un autre passage du Talmud  :
“Quand Israël accomplissait le pèlerinage, ils [les prêtres] déroulaient pour eux la Parokhet (le rideau) et leur montraient les chérubins qui étaient enlacés l'un à l'autre et ils leur disaient: "Voyez, votre amour devant Dieu est comme l'amour du mâle et de la femelle".”
I1 semble, en conséquence, que l'accomplissement de la volonté divine et l'amour de Dieu pour Israël trouvent leur expression dans la position sexuellement orientée des chérubins. I1 convient de nous attacher à la signification précise de ce dernier passage: l'amour de Dieu pour Israël n'est pas équivalent à l'amour d'un chérubin pour l'autre, en d'autres mots: les chérubins ne sont pas à la place de Dieu et d'Israël; seule la nature de l'amour du mâle et de la femelle est une métaphore de l'amour divin.
L'établissement de la présence Divine entre les chérubins et entre mari et femme ayant mérité, ne sont que des cas particuliers d'une intention plus générale, exprimée par la sentence midrachique : “Iqar chekhina batahtonim hayetaqui signifie ceci: le lieu naturel de la Chekhina était en bas. La construction du Temple, ou l'accomplissement des commandements - et dans notre cas ceux qui sont liés à l'acte sexuel - visent la restauration de l'état initial de la présence Divine.
I1 est intéressant de noter qu'une discussion talmudique sur l'impératif de préparer une résidence à la Chekhina est encore liée explicitement à la procréation ; le refus de Ben Azaï quant au mariage, afin de se consacrer à l'étude de la Torah, est vertement flétri par quelques Tannaïtes; R. Eliézer décida même que quiconque s'abstient de la procréation sera puni de mort, il avance à ce sujet l'exemple de Nadav et Avihou, qui moururent, selon cette interprétation, parce “qu'ils n'avaient pas eu d'enfants”, et qui autrement seraient restés vivants. Une autre explication du châtiment de l'abstention est le fait qu'une telle restriction cause le retrait de la Chekhina d'Israël, ce point de vue s'appuyant sur le verset: “Pour être un Dieu pour toi et pour ta semence après toi.”
Le sage anonyme poursuit: “Si ta semence est après toi, la Chekhina réside [en bas], s'il n'y a pas de semence après toi, sur qui la Chekhina résiderait, sur les arbres et sur les pierres ?” La procréation est donc indispensable à la réalisation de l'état idéal de la Chekhina, non seulement Elle est présente durant l'acte même d'union entre mari et femme, mais grâce à la nature productive de cet acte, elle continue à résider en bas.
L'affinité entre la présence de la Chekhina sur le couple de chérubins dans le Temple et sa résidence sur le couple humain méritant est, à mon avis, hautement significative. Tout se passe comme si le rôle religieux des chérubins était transféré sur les couples humains. Quand le Temple fut détruit, sa fonction fut partiellement préservée par l'activité humaine. Ce transfert fut, semble t il, rendu possible par l'existence d'une très ancienne conception du Saint des Saints en tant que chambre à coucher. Selon un traité gnostique préservé à Nag Hammadi :
“Les mystères de la vérité sont révélés, quoique par symbole et par image, la chambre nuptiale demeure néanmoins cachée. Elle est le saint des saints. Le rideau au début cachait la manière dont Dieu contrôlait la création, mais quand le rideau est tiré et que les choses intérieures sont dévoilées, cette maison sera laissée à la désolation.”
Ou encore :
“I1 y avait trois bâtiments réservés spécialement au sacrifice dans Jérusalem. Celui qui faisait face à l'Ouest était appelé le "Saint". Un autre, faisant face au Sud, était appelé le "Saint du Saint". Le troisième, vis à vis de l'Est, était appelé le Saint du plus Saint... le Saint des Saints est la chambre nuptiale.”
I1 semble bien que ces textes gnostiques reflètent une perception juive du Temple pré existante; selon le Midrach Tanhouma, commentant la référence au lit royal dans le Cantique des Cantiques 3:7, le commentateur anonyme avance que :
“Son lit (celui de Salomon) est le Temple. A quoi le Temple est il comparé en bas ? Au lit, qui sert au fructifier et au multiplier. De même le Temple, tout ce qui s'y trouvait fructifiait et multipliait.”
Examinons l'assertion selon laquelle le rideau “cachait la manière dont Dieu contrôlait la création”. Il semble plausible de supposer que l'auteur gnostique cherchait à suggérer un acte sexuel se déroulant dans le Saint du plus Saint, ce dernier étant considéré comme une “chambre nuptiale”. Par ailleurs, dans cette “chambre nuptiale”, la façon dont le monde est gouverné peut être visualisée. Je souhaiterai indiquer pour conclure que les entités qui étaient aperçues dans le Saint du plus Saint étaient liées d'une part aux chérubins - à cause des tonalités sexuelles - et d'autre part aux deux attributs de Dieu: Midat ha rahamim (la mesure de clémence) et Midat ha din (la mesure de rigueur), selon la terminologie rabbinique, qui représentent la façon dont Dieu “contrôle la création”.
Cette thèse est fondée sur le fait que déjà Philon d'Alexandrie identifiait les chérubins avec les attributs divins . Par ailleurs, des identifications de chérubins avec des puissances masculines et féminines étaient connues dès les temps anciens, même au delà des frontières du judaïsme. Bien qu'une influence de Philon sur l'Evangile de Philippe soit possible, cette thèse n'est en rien la seule solution offrant une probabilité susceptible d'expliquer comment des visions juives du Saint des Saints ont pu atteindre l'auteur gnostique; il est tout aussi probable que des traditions juives, contemporaines de Philon mais peut être indépendantes de ses écrits, étaient connues par l'auteur anonyme. Nous sommes donc en droit de conclure qu'une perception sexuellement connotée du Saint des Saints existait dans l'ancien judaïsme. Peu après la destruction du Temple, nous découvrons un substitut à la fonction de ce dernier en tant que lieu de résidence de la Chekhina.
Suivant une idée repérée dans le contexte talmudique envisagé plus haut , la présence effective de la Chekhina requiert l'existence d'au moins vingt deux myriades d'enfants d'Israël , chacun devant contribuer à la pérennité de cette figure. Le peuple d'Israël est regardé, en tant qu'individus ou en tant que nation, comme Imago Templi, thème qui influença aussi bien le christianisme que l'islam. D'après cette conception, l'union pure du mâle et de la femelle fonctionne comme un acte de restauration, permettant à la Chekhina de conserver sa place naturelle: le sein de la nation juive. Au moins partiellement, la procréation est accomplie en faveur de la divinité, elle est un effort pour rétablir l'harmonie existant pendant la période où les Temples étaient en fonction. I1 semble donc raisonnable de supposer que le dictum cabalistique médiéval: “Chekhina ba tahtonim (ô béisrael) tsorekh gavoa”: “La présence de la Chekhina en bas (ou parmi Israël) est pour Son (propre) bien”, que cette sentence des plus importantes, qui devint un slogan de la cabale théurgique, reflète fidèlement une perception plus ancienne, qui a été seulement articulée plus clairement par les cabalistes.
Développons maintenant une autre approche cabalistique de ce thème. Selon les sources rabbiniques classiques discutées ci dessus, la présence de la Chekhina durant l'acte sexuel est conditionnée par la pureté rituelle des participants. Aucune recherche de kavana (intention) n'est mentionnée dans ces contextes, l'intention pure, décrite par les cabalistes comme visant l'ascension de la pensée humaine vers sa source supérieure et la descente consécutive de la Chekhina, a été ajoutée par l'un des plus anciens et des plus influents textes de la cabale, la Lettre sur la sainteté (Igueret ha qodéch) :


“I1 est bien connu des maîtres de la cabale que la pensée humaine provient de l'âme intellectuelle qui est descendue d'en haut. La pensée humaine est capable de se dévêtir (des résidus étrangers) et de monter jusqu'à atteindre le lieu de sa source . Alors elle s'unit avec l'entité supérieure  d'où elle procède et elle (i. e. la pensée) et l'autre (i. e. sa source) deviennent une seule entité . Et quand la pensée retourne du haut vers le bas, quelque chose de semblable à une ligne apparaît et la lumière supérieure descend, sous l'influence de la pensée, qui l'attire en bas et attire la Chekhina en bas, alors la lumière éclatante vient et surabonde sur le lieu où se tient celui qui a émis cette pensée (...) puisque tel est le cas, nos anciens sages ont dû dire que, quand le mari s'accouple avec sa femme et que sa pensée s'unit avec les entités supérieures, que cette pensée attire la lumière supérieure en bas et que cette dernière s'établit sur la goutte (de semence), il dirige son intention sur elle et pense à elle (...) cette goutte même est liée en permanence avec la lumière éclatante (...) puisque la pensée à son égard est liée aux entités supérieures et attire la lumière éclatante en bas.”


I1 ressort que l'intention mystique de l'homme, qui doit accompagner l'union sexuelle, peut entraîner la lumière supérieure, et la Chekhina aussi bien , à descendre sur l'homme durant cette même relation. Le mari doit élever sa pensée jusqu'à sa source afin d'accomplir une unio mystica, qui sera suivie par la descente de forces spirituelles d'en haut sur le semen virile; ici, ascencio mentisunio mystica etreversio sont des étapes préalables à la conception idéale .


I1 vaut la peine de comparer cette conception mystique de l'acte sexuel avec le point de vue tantrique. Dans les deux cas, l'acte sexuel doit être effectué avec beaucoup d'attention; un certain état de conscience mystique est atteint au cours de l'acte corporel. Cependant, l'usage de la relation sexuelle pour vivre des expériences spirituelles est évidemment différent. L'union mystique de la pensée avec sa source est, dans la cabale, instrumentale par rapport au but principal: la conception; la connaissance spirituelle est seulement une phase préparatoire dans le processus de procréation, qui doit être accomplie avec la coopération de la Chekhina. Dans les systèmes tantriques, l'état de conscience mystique, le bodhicitta, est un but en soi, tandis que l'état parfait est obtenu par l'immobilisation du flux du semen virile. L'acte sexuel est considéré par les cabalistes comme un acte donneur de vie. Chez les maîtres du Tantra, l'éjaculation est regardée comme une “mort”. Les cabalistes mettent l'union mystique au service de la procréation, le Tantra met la relation sexuelle inféconde au service de la conscience mystique.


Pour les tenants de la cabale théosophique, le rapport sexuel n'est pas un but en soi; le but final, ou plutôt les buts finaux, sont la procréation et la préparation de substrata appropriés -les êtres humains - pour servir de résidence à la Chekhina. Le couple humain ou ses descendants entrent en contact direct avec la Chekhina qui descend sur l'homme qui accomplit l'acte sexuel dans la pureté. En conséquence, un contact est évidemment établi entre l'homme et le divin, durant lequel le premier conserve sa nature masculine.
Dans les textes analysés ci dessus, la Chekhina descend pendant l'acte sexuel même. Néanmoins, elle ne joue pas le rôle de la femelle et aucune mention de relations sexuelles entre le mâle et la Chekhina ne peut être discernée dans ces développements. Il semble que le livre du Zohar ait apporté un concept important dans le domaine des motifs sexuels : pour la première fois dans une source juive , le juste est décrit comme se tenant entre deux femelles : une femelle humaine - son épouse - et une femelle d'en haut, la Chekhina. L'homme est capable d'accéder à ce statut seulement quand il est marié à une femme de chair et de sang, mais par la suite, lorsqu'il lui arrive de se séparer de sa femme terrestre, il est dédommagé par la présence de la Chekhina. Cette description sexuellement connotée d'un contact humain avec la Chekhina est tout d'abord relative à Moïse, “ich ha Elolim (l'homme de Dieu), une phrase interprétée par les cabalistes comme signifiant “l'époux de la Chekhina”; cependant, même d'autres justes aussi sont parfois dépeints en termes similaires. Selon le Zohar, le mariage donne non seulement au juste l'occasion d'accomplir le commandement de la procréation, mais il le rend aussi capable d'atteindre le statut mythique d'époux humain du “monde de la féminité”: alma dé nouqva. Cette considération mérite de retenir l'attention: le mariage rituel est un préalable pour l'accession au rôle d'époux mythique. La consommation effective du mariage est une condition sine qua non pour ce faire. I1 peut cependant être ensuite un obstacle à l'obtention de l'expérience spirituelle.


D'après Rabbi Isaac d'Acco  :
“Jacob, notre père, aussi longtemps qu'il vécut avec la Rachel corporelle, en dehors de la terre d'Israël, son âme ne pouvait s'unir avec la Rachel d'en haut, dont la résidence est la terre sainte. Mais dès qu'il atteignit la terre sainte, la Rachel d'en bas mourut et son âme s'unit avec la Rachel d'en haut.” Cette combinaison du mariage corporel comme première étape, avec les épousailles spirituelles comme étape seconde, signale vraisemblablement une synthèse entre l'importance théosophique accordée au mariage et l'insistance de la cabale extatique sur la nature spirituelle de la relation entre l'homme et Dieu .


C - Le symbolisme horizontal descendant
Le symbolisme sexuel décrivant la relation entre le juste et la Chekhina suppose la nature féminine de celle ci; l'évolution de ce concept est une question complexe qui ne peut être discutée dans cet essai . Quoi qu'il en soit, il est important d'insister ici sur le fait que pour les cabalistes, le caractère féminin de cette manifestation divine n'est que secondairement lié à sa relation avec le juste. Elle est perçue essentiellement comme la partenaire féminine du système des neuf sefirot conçues comme le “monde du mâle”, ou de leurs représentants, les sefirot Tiferet et Yessod. L'homme juste imite donc la relation parallèle entre le juste d'en haut - le Yessod - et la Chekhina: les processus réels, archétypiques, ont lieu dans le monde divin, tandis qu'ici bas, nous ne faisons que refléter la mystérieuse dynamique de l'univers intradivin. Tel le juste qui se tient entre deux femelles, humaine et divine, la femelle divine se tient elle aussi entre deux mâles, humain et divin .
Puisque la relation entre le juste humain et la Chekhina est, d'après les cabalistes, fondamentalement une mimesis du processus supérieur, nous pouvons l'envisager comme l'expression d'un “symbolisme descendant”. Le processus le plus important a lieu en haut : nous usons de cette symbolique dans le but de refléter un phénomène parallèle, ici bas. Ainsi, le symbolisme vertical descendant prend racine, de l'avis des cabalistes, dans le symbolisme horizontal descendant. La relation harmonieuse entre Tiferet et Malkhout, ou ainsi qu'elle a été communément désignée: Yihoud Qoudcha Berikh Hou ou Chekhinté(union du Saint béni soit il et de sa Chekhina), est cruciale pour le bien être du monde. Ce n'est que quand l'union entre les deux puissances divines est accomplie que l'influx issu du En Sof (l'Infini) peut être transmis au monde inférieur. Cette harmonie, qui a été perturbée par le péché originel, aussi bien que par les fautes en général, peut être rétablie par l'accomplissement cabalistique des commandements, l'un des plus importants étant la relation sexuelle pure. Le couple humain effectuant l'unlon sexuelle est capable de produire un état d'harmonie en haut. L'acte sexuel est conçu comme doté de pouvoirs théurgiques. Suivant la plupart des cabalistes, cet acte humain reflète d'une part la structure d'en haut et d'autre part il influe sur elle. En conséquence, mariage et union sexuelle ont un énorme impact sur les mondes supérieurs. Cette conception est l'une des plus importantes contribution de la cabale au mode de vie juif: mariage et sexualité ont été transformés en un mystère reflétant un mystérieux mariage en haut, dont le succés est capital, tant pour le cosmos divin que pour l'univers inférieur. La procréation comme but ultime des relations conjugales devint dans le Weltanschauung cabalistique un but secondaire; bien que demeurant un but essentiel pour le couple humain, surtout pour le mari, la signification théurgique devint de plus en plus centrale au fur et à mesure que se développait la pensée cabalistique .
L'un des plus anciens cabalistes, R. Yehouda ben Yaqar, a exprimé la conception “descendante” de l'union sexuelle d'une manière particulièrement concise: “Et le commandement de l'union, qui nous concerne, se rapporte aussi à ce que Dieu dit au Sabbat : "Knesset Israël sera ton épouse", et lui (le Sabbat) est le Juste, le Fondement du monde  d'où proviennent tous les esprits et les âmes  [...] c'est la raison pour laquelle les gens ont l'habitude de célébrer le mariage lors du Sabbat.”


Ici, Knesset Israël (la Communauté d'Israël) est conçue comme l'épouse du Sabbat et ce dernier symbolise, apparemment, la neuvième sefira, Yessod, l'époux. L'union humaine, en conséquence, qui engendre le corps, reflète l'union supérieure dans le domaine des sefirot, dont émergent les âmes. Nous avons là un exemple intéressant de la transformation d'un ancien Midrach, associant deux entités mythiques - Knesset Israël et Sabbat - en un mythe théosophique pleinement déployé. Un facteur important de ce changement est la surdétermination de la polarité sexuelle qui est apparemment secondaire dans le Midrach. I1 est notable qu'il y a une centaine d'années, M. Joël a montré la possibilité pour ce Midrach d'avoir été composé à partir de l'arrière plan gnostique de la théorie des syzygies. Les cabalistes médiévaux exploitèrent les potentialités mythiques de ce passage midrachique dans le but d'élaborer leur propre théosophie mythique. Le commandement de l'union, selon R. Yehouda, est une imitation de l'union supérieure, non seulement au niveau sexuel mais aussi en tant que coutume qui perçoit le jour du Sabbat comme étant propice à une telle union.
J'aimerais m'étendre sur la façon dont une telle réélaboration a pu avoir lieu. Selon les dires du Midrach, le Sabhat est considéré implicitement comme une entité femelle, tandis que la Knesset Israël est explicitement mentionnée comme masculin par l'expression qui la qualifie: Ben Zoug. Cependant, les rôles changèrent dans la formulation cabalistique de ce thème. S'agit il d'une distorsion arbitraire de ce Midrach, due aux spéculations théosophiques ? En fait, comme nous l'avons remarqué, le Sabbat est perçu comme mâle même dans un autre texte cabalistique ancien: le Livre Bahir. Toutefois, il semble que nous devons rechercher une conception plus ancienne qui se trouve encore dans le Midrach. D'après un autre passage de Beréchit Rahba Adam ne put trouver une compagne appropriée parmi les animaux et il s'exclama comme le Sabbat: “Chaque créature a sa compagne alors que je n'en ai pas.” Ici, le mâle est décrit comme cherchant une partenaire féminine, je présume donc que ce modèle a formé la perception cabalistique de la relation entre Sabbat et Knesset Israël.


La description de l'union de Tiferet ou Yessod et Malkhout a été désignée plus haut comme un symbolisme sexuel descendant. D'après la définition proposée par Kahler du “symbolisme descendant”, qui a été citée au début de cet essai, un processus est symbolisé par un système symbolique qui est enraciné dans un niveau supérieur. Pour ce qui concerne les sefirot inférieures, leur relation, exprimée par une image sexuelle, reflète une dichotomie sexuelle encore plus élevée. Dans les premiers traités cabalistiques, les sefirot Hessed et Guevoura étaient conçues comme un couple de puissances respectivement mâle et femelle. C'est le cas chez R. Abraham ben David de Posquières, qui considère les deux attributs divins, apparemment Hessed et Guevoura, comme “doupartsoufim (deux faces), mâle et femelle, semble t il . En conséquence, les sefirot inférieures reflètent une syzygie supérieure. De fait, un examen serré de l'évolution du premier symbolisme cabalistique montre que la relation sexuelle probablement plus ancienne de deux attributs divins, Hessed et Guevoura, a influencé le même genre de conception pour les sefirot inférieures . De nouveau, cette perception sexuelle de la relation entre Hessed et Guevoura doit refléter une syzygie plus élevée encore des sefirot: celle de Hokhma et Bina, qui furent considérées respectivement comme “Père” et “Mère”. De même que les sefirot inférieures doivent se tenir en état deYihoud (union), les deux sefirot supérieures le doivent aussi, pour parvenir à la condition d'une “union élevée” . D'après des sources cabalistiques importantes, les deux sefirot supérieures sont médiatisées par une sefira particulière, Da'at, dont les tonalités sexuelles sont presque explicites, spécialement dans la cabale lourianique . L'imagerie sexuelle a donc joué un rôle des plus importants dans les descriptions de la nature des attributs les plus divins et de leurs relations intrinsèques. En outre, d'après les cabalistes, l'existence des syzygies dans le monde divin est une condition sine qua non de la réalisation de la balance qui assure l'existence de la structure divine. Aussi, la relation mâle femelle est présentée par eux comme une dynamique enveloppant la totalité, pénétrant le monde divin en entier. Le rapport sexuel humain est perçu alors comme une “participation mystique” à la hiérogamie divine, à la fois en la reflétant et en influençant le processus divin.
De plus, certaines phases de l'émanation, dans l'auto genèse du système divin, sont dépeintes par une symbolique sexuelle saisissante. Les sept sefirot inférieures ont été engendrées par l'union entre la Hokhma et la Bina, ces sept sefirot passant communément pour être les “fils” des sefirot supérieures. Selon un cabaliste du XVIe siècle, le processus de l'émanation tout entier peut être décrit comme une succession de fécondations et de naissances des sefirot les unes des autres, commençant avec la Causa causarum et s'achevant avec la dernière sefira . D'après R. Moïse Cordovéro, un éminent cabaliste de Safed :
“Le thème de l'union sexuelle entre les attributs divins est véritablement symbolisé par notre union sexuelle, une fois que son aspect corporel a été complètement effacé; la conjonction des deux attributs et leur désir d'union, peuvent être comparés - et par là expliqués - à leur accession au 'temps' (onah) spirituel qui consiste dans le déploiement de la lumière de En Sof dans les attributs, et ceux ci (les attributs) s'aiment l'un l'autre et se désirent mutuellement, exactement comme le désir de l'homme pour son épouse, une fois l'aspect corporel de celui ci écarté.”


Ici, la relation entre les attributs divins n'est pas seulement comparée à la structure de l'acte sexuel humain, mais elle est décrite aussi comme dépendante d'un processus plus élevé, se déroulant entre le En Sof et les sefirot: l'influx de lumières destiné au domaine sefirotique. L'usage du terme “ona” (temps) a une tonalité sexuelle manifeste, la lumière symbolisant la semence  que les sefirot en tant qu'entité femelle reçoivent d'en haut. Je présume que le “temps” d'en haut est la veille du Sabbat, qui était considérée par les cabalistes comme particulièrement propice aux rapports sexuels .
L'auteur anonyme de la Igueret ha Qodech résume le symbolisme cabalistique descendant lorsqu'il écrit :
“Toutes les questions dont nous avons débattu  sont le secret du système de l'ordre du monde et de sa structure et le prototype du mâle et de la femelle [qui sont] le secret du donneur [de l'influx] et de [son] receveur , et voici: l'union convenable de l'homme et de sa femme est à la ressemblance des cieux et de la terre.” Le principal courant de la cabale, le courant théosophique, a articulé des perceptions juives antérieures concernant l'existence humaine et divine: une polarité de facteurs sexuels associés à la création de l'homme dans la Bible et le Midrach, aux chérubins dans les textes midrachiques et peut être aux attributs divins chez Philon et dans les textes talmudiques et midrachiques, a été structuée en un système totalement cohérent déjà évident dans les toutes premières sources cabalistiques . Cette corrélation entre les différents niveaux du réel a permis aux cabalistes d'appréhender l'union sexuelle d'une part comme une imitatio dei et d'autre part comme un acte théurgique destiné à produire un état d'harmonie entre les entités supérieures.
De plus, les cabalistes se sont servis de ces prémices, aussi bien que de motifs existants par ailleurs, dans le but de construire un système bisexué des puissances du mal. Ainsi, Samael et Lilit sont les “contrefaçons de Dieu” qui essaient d'imiter l'union divine dans la structure démonique parallèle . Une comparaison entre les différentes conceptions juives de la relation sexuelle et certaines anciennes conceptions chrétiennes et gnostiques est pertinente à ce stade final de notre discussion. Les conceptions à la fois philoniennes, talmudiques, midrachiques et cabalistiques de la sexualité sont sans ambiguïté positives. L'existence de deux sexes est acceptée comme un fait, qui rend l'humanité capable de se reproduire, sans la moindre insinuation péjorative quant à la nature de l'acte sexuel. Le retour à l'état d'androgyne originel de l'homme, qui a été décrit communément par les gnostiques , ou l'effort pour transcender la condition féminine par la transformation mystique de la femelle en “mâle”, récurrent dans la pensée chrétienne ancienne  et le gnosticisme , sont étrangers au Weltanschauung du Talmud et de la cabale théosophique .


Les chérubins peuvent bien être aperçus lorsqu'ils sont enlacés, mais ils peuvent aussi se séparer l'un de l'autre; les êtres humains peuvent s'unir dans l'acte sexuel sans perdre leur nature sexuelle spécifique; les manifestations divines supérieures sont supposées atteindre leur état idéal lorsque les puissances divines opposées sont unies, union qui est explicitement décrite à travers une imagerie sexuelle. Néanmoins, nulle part cette union n'est prise pour une annihilation de deux sefirot et pour l'émergence d'une autre puissance divine androgyne. Ce qui caractérise la conception cabalistique, c'est l'insistance sur l'obtention d'une relation harmonieuse entre principes opposés, dont l'existence séparée est indispensable au bien être de l'univers entier. Ou pour le dire autrement: la cabale théosophique n'a pas recherché une restructuration drastique de l'existence, soit par la transformation du féminin en masculin, soit encore par leur fusion finale en une entité bisexuée ou asexuée. Les cabalistes ont lutté au contraire pour une amélioration des processus se déroulant entre les éléments différenciés composant les univers terrestre et divin. Les cabalistes ont transposé la relation sexuelle humaine - et non seulement la différence sexuelle - dans le monde supérieur; les processus qui s'y déroulent doivent se conformer au comportement sexuel humain. Dans la conception gnostique, le monde inférieur doit s'efforcer de copier la règle supérieure d'androgynie ou d'asexualité . L'attitude gnostique et à certains égards aussi l'attitude chrétienne vis à vis de la sexualité, constituent un aspect important de leur rejet plus général de ce monde ; les eschatologies gnostiques et chrétiennes proposent un salut spirituel qui vise soit la restauration de l'androgynie paradisiaque soit un statut d'asexualité pour le croyant. Au moins dans le cas du gnosticisme, le malaise s'étend au delà de ce monde jusqu'à son créateur mauvais, la sexualité étant considérée comme un instrument implanté en l'homme par ce dernier dans le but de perpétuer son monde mauvais. L'ascétisme chrétien n'est rien d'autre qu'une attitude plus modérée envers la condition temporaire du monde jusqu'à la seconde venue du Sauveur. L'instinct sexuel a été soit oblitéré, soit partiellement sublimé sous la forme de l'amour du Christ.
Sous l'impulsion des conceptions halakhiques, la cabale a traité de la régulation de la libido plutôt que de sa suppression ou de sa sublimation. Cet intérêt à l'égard du sexe et de la sexualité est en général orienté vers ce monde; l'effort essentiel a été investi dans la tentative de trouver le moyen terme idéal entre l'ascétisme sexuel, cultivé par les mystiques chrétiens, et une insistance peu commune sur la centralité des processus sexuels, qui aurait pu désintégrer la texture normale de la vie familiale . Le danger qui a guetté la cabale juive médiévale n'était pas une spiritualité exagérée méprisant l'amour “charnel”, mais une explosion des relations sexuelles perçues comme positives au delà des limites de la halakha.
Le balancement entre une attitude positive et naturelle à l'égard de la sexualité et son appréhension comme reflet de la hiérogamie d'en haut comporte aussi ses problèmes. Lorsque les régulations halakhiques s'affaiblirent, l'une des conséquences les plus importantes et les plus immédiates fut la disparition des inhibitions sexuelles; le sabhatianisme et le frankisme qui étaient deux sectes liées au judaïsme mystique, se sont écartés de la cabale essentiellement par leur transgression des interdits de l'inceste, transgressions qui furent interprétées comme une imitation des relations sans restrictions au sein du monde divin . A la fois sabbatianistes et frankistes fondèrent leur comportement licencieux sur des textes classiques de la cabale . Comme les gnostiques , les sabbatianistes ont conçu l'homme parfait - en l'occurrence Sabbataï Tsevi - comme étant libre de toutes contraintes morales et comme appartenant au Gan Eden, un état paradisiaque, qui est opposé au monde inférieur décrit comme le “cœur” du monde démonique . De surcroît, le noyau même de l'activité de Sabbataï Tsevi fut une fois présenté comme la restauration de la gloire de la sexualité, c'est à dire semble t il d'une activité sexuelle sans restriction  :
“Les patriarches vinrent au monde pour restaurer les sens et ils le firent pour quatre de ces sens. Sabbataï Tsevi vint et restaura le cinquième, le sens du toucher, qui selon Aristote  et Maïmonide  est une cause de honte pour nous, mais qui à présent a été élevé par lui à une place d'honneur et de gloire.”
Nous avons là un cas exemplaire où une métaphysique - en l'occurrence la cabale théosophique qui s'est développée à partir des conceptions talmudiques et midrachiques - est devenue un facteur indépendant qui détermina le comportement des gens. Mises au service de 1'“idée” métaphysique, une fois oblitérés les modes ordinaires de la sexualité, les pratiques orgiaques sont devenues une via mystica du nouvel éon. I1 n'est pas étonnant que le grand développement suivant du mysticisme juif - le Hassidisme - se soit montré beaucoup plus réticent dans l'usage du symbolisme sexuel.


En conclusion, une remarque sur la métamorphose contemporaine des attitudes précitées à l'égard de la sexualité peut être pertinente. L'ancienne attitude juive envers la sexualité en tant que mystère présenté comme tel dans le Saint des Saints, eut un profond impact sur le judaïsme en général et sur la cabale en particulier. La hiérogamie d'en haut et son reflet inférieur dans les relations conjugales, devinrent l'un des principes fondamentaux de la tradition cabalistique; au moins sur ce point, la cabale a élaboré un thème juif déjà existant (95). Cette vision sans équivoque de la sexualité eut une répercussion importante dans la psychanalyse moderne à travers la conception freudienne de la libido . Par ailleurs, la réticence et parfois l'attitude ambiguë à l'égard de la sexualité et du mariage dans le christianisme et le gnosticisme, ont trouvé leur expression dans les travaux de Carl Jung et de Mircea Eliade . Ces savants n'étaient pas seulement profondément intéressés par la mythologie gnostique, ils ont adopté semble  t il plusieursmythologoumena gnostiques comme vérités intemporelles , voire comme directives spirituelles pour notre temps . La perfection individuelle est le but ultime de leur idéalisation de l'androgynie, en tant qu'elle s'oppose au souci créatif, qu'il s'agisse de la procréation ou de la restauration de l'harmonie divine dans la cabale théosophique. Tout commentaire supplémentaire serait superflu.

Journal des Études de la Cabale
jec2.

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